De retour à la maison après mon séjour en Sicile. Il est encore temps de raconter ce qui s'est passé, tant que les souvenirs sont frais et
que je ne suis pas encore totalement immergé dans mon travail...
Un quotidien déroutant
C'est un peu déstabilisant de devenir
l'invité d'un foyer multilingue dont les membres tentent de se
construire une nouvelle vie après une fuite imposée vers un avenir
incertain. Foyer où ils restent de long mois, sans connaître ni leur sort ni leur date de sortie, alors que je reste moins de trois semaines.
On essaie - avec l'autre volontaire présent avec moi - de
proposer des activités. Il est difficile de
réaliser celles que j'avais imaginé, d’autant qu’il est impossible d’avoir un
langage commun à tout le monde, et que nos propositions ne trouvent
pas toujours le succès escompté. Alors, on trouve des idées et on s'amuse en essayant de stimuler
les uns et les autres avec un jeu, un défi, ou simplement en
apportant un peu de joie et de bonne humeur.
On participe aussi aux cours d'italien, pour montrer qu'on
est solidaire, et que ça n'est pas facile pour nous non plus
d'apprendre une nouvelle langue.
Mais ce quotidien, c'est aussi se laisser surprendre
Je ne suis qu'un invité de ces personnes accueillies, je viens dans leur maison. Difficile de trouver le bon équilibre, savoir
si c'est le moment d'aller voir celui qui est à l'autre bout de la
pièce, ... ou si ça n'est justement pas le
moment de déranger - et tant pis si je me retrouve désœuvré.
Ce quotidien, c'est un apprentissage. D'abord oser aller vers l'autre,
simplement être présent, attendre, tendre quelques perches que l'on
espère non intrusives... et goûter la saveur de l'échange
lorsqu'il est finalement établit. Accepter aussi sa brièveté
lorsqu'il se termine. Accepter mes propres limites lorsque je ne
trouve pas les mots pour le prolonger, accepter aussi que mon
interlocuteur soit simplement déjà passé à autre chose.
Ce quotidien, c'est goûter la réussite d'une nouvelle activités qui a eu du
succès, une joie ou un bon moment que l'on partage en groupe et qui
dure un long moment.
Ce quotidien, c'est aussi accepter les jours "sans", les jours où nos
accueillis n'ont pas le cœur à la fête et préfèrent rester seuls
sans être dérangés.
Alors, quels services rendus ?
Ils me semblent bien maigres, au regard des actions, des
conversations, ou du soutien que j'ai pu apporter. J'ai reçu
beaucoup et n'ai presque rien donné.
Certes, j'en retire une expérience spirituelle, marquante et structurante. En
revenant chez moi, j'ai l’impression d'avoir découvert un trésor,
de voir le monde sous un regard plus humain. De voir ma ville avec
des inconnus qui ont leurs propres histoires mystérieuses, et qui ne sont pas de
simples anonymes.
Mais NON, je n'ai pas été un super animateur, ni un "confesseur" ou un
"psychologue", ni même un ami proche.
Et pourtant... que d'émotions les derniers jours avant de partir !
Par exemple, les nouvelles activités que l'on partage un peu plus à force de
mieux se connaître.
Par exemple, le séjour à la plage où les différences s'effacent : il n'y a
plus des accueillis et des volontaires, mais simplement tout le monde
qui profite joyeusement de la baignade, de l'espace, des jeux.
Puis au moment de quitter pour la dernière fois le centre
d’accueil, ils sont nombreux à rester; au lieu de nous saluer en 5
secondes et de passer à autre chose, ils restent au contraire autour
de nous et prolongent ce moment, pour bien nous faire comprendre
qu'ils ont appréciés notre présence.
Et les émotions se poursuivent: chanson entonnée sur le parvis
de l’Église, joie des dernières heures entre volontaires. Et
enfin derniers échanges avec quelques uns des accueillis au moment
de prendre le bus pour l'aéroport...
Alors, quels résultats ?
Si pour les gestionnaires de ces centres, les volontaires
apportent plus qu'ils ne reçoivent... alors que de mon coté la
balance semble être inversée en ma faveur, .. c'est sans doute que chacun
reçoit beaucoup, et que ces fruits ne sont pas quantifiables mais
très précieux.
Des graines ont été plantés dans le cœur des
participants, volontaires ou accueillis. De petits signes (parfois
discrets et presque insignifiants) ont montrés qu'elles avaient
germées, chez les uns comme chez les autres.
Alors oui, l'intégration passe par ce type d'action. Par des
contacts multiples pour briser les murs et les barrières, les
préjugés et les non dits. Pour affirmer nous aussi notre solidarité
et notre soutien, pour dire qu'il n'est pas acceptable d'ignorer des
personnes qui ont été forcées à prendre la mer. Pour dire
qu'elles ont droits à un avenir meilleur, comme nos ancêtres ont
eux aussi eu droit à plusieurs secondes chances au cours de
l’histoire.
Je poursuis ma réflexion en prenant tranquillement un repas en
solitaire dans le resto du coin... Mes voisins sont des lycéens qui
s'amusent joyeusement, le fils du patron d'origine asiatique est
attablé avec ses amis du lycée... C'est bien tout le bonheur que je
souhaite à mes hôtes de ces 3 semaines : qu'ils trouvent une place
en Italie, et que leurs futurs enfants puissent s'amuser en pleine
harmonie avec les autres enfants du coin !
Chers amis, votre route est encore longue, mais vous tenez le bon
bout ! Bienvenue dans cette nouvelle étape qui commence !
Quand à moi, il est trop tôt pour savoir ce que donneront les
graines que vous avez fait germer en moi, mais elles porteront des
fruits c'est certain ! Je vous garderais dans mon cœur et je compte
bien d'une manière ou d'une autre continuer à soutenir ceux qui
arrivent en Europe.
MERCI encore pour ces rencontres "improbables" mais si
riches en partage !
Julien (France)